Transition bas-carbone dans la mode : comment construire et piloter sa stratégie de réduction d’impact ?
Découvrez comment construire et piloter une trajectoire bas-carbone efficace en 3 étapes clés : mesurer précisément vos émissions, définir des objectifs réalistes, et embarquer vos équipes métiers pour atteindre durablement vos ambitions de réduction
La transition bas-carbone n’est plus une option mais une nécessité pour les entreprises — et plus particulièrement pour les marques de mode et de textile, soumises à des exigences croissantes (réglementaires, investisseurs, consommateurs) en matière de réduction de leur impact environnemental.
Construire une trajectoire bas-carbone crédible et mesurable implique de s’appuyer sur des données fiables, de définir des objectifs cohérents et d’embarquer toutes les équipes métiers dans une logique de progrès continu.
Dans cet article, nous vous proposons une méthode en 3 grandes étapes pour structurer et piloter votre stratégie de réduction d’impact.
Pourquoi s’engager dans une trajectoire de réduction d’impact ?
S’engager dans une trajectoire bas-carbone, c’est avant tout répondre à une urgence environnementale en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais au-delà de cet enjeu global, les marques ont aussi d’autre raisons de construire une trajectoire bas-carbone :
Anticiper les obligations réglementaires
Avec l’entrée en vigueur de réglementations telles que la CSRD ou la CSDDD, les marques concernées doivent être en mesure de mesurer leurs émissions et de proposer un plan de réduction.
Construire une trajectoire bas-carbone leur permet d’anticiper et de respecter ces obligations légales, tout en répondant aux demandes croissantes de transparence de la part des investisseurs, partenaires et consommateurs. En effet, la construction d’une trajectoire de réduction d’impact environnemental est de plus en plus demandée par les banques et les investisseurs (notamment pour accéder plus facilement à des financements durables, obligations vertes, taux préférentiels, appels à projets).
Renforcer sa compétitivité économique et la résilience de votre modèle économique
Construire une trajectoire de réduction d’impact permettra également de diminuer votre dépendance aux énergies fossiles, renforçant ainsi la résilience de votre modèle économique. La mise en place des différents leviers d’action vous offrira une meilleure connaissance et une meilleure maîtrise de votre chaîne de valeur, un enjeu crucial pour l’avenir des marques de mode. Certains leviers peuvent même vous permettre de réduire vos coûts (amélioration de l’efficacité énergétique, réduction du taux de perte, diminution des coûts liés à l’énergie…), ce qui renforcera la compétitivité de votre modèle économique.
Répondre aux attentes de consommateurs
+ 88 % des consommateurs attendent des marques qu’elles s’engagent dans la lutte contre le changement climatique.
Aujourd’hui, une grande majorité des consommateurs attendent des entreprises qu’elles assument leur rôle face au défi climatique, notamment dans le secteur de la mode et du textile. Affirmer une trajectoire bas-carbone crédible renforce l’attractivité de la marque auprès du grand public. De plus, cette démarche donne du sens aux collaborateurs et futurs employés, particulièrement sensibles à l’engagement écologique de leur entreprise.
Mobiliser les collaborateurs et donner du sens
Donner un cap clair sur la réduction d’impact permet d’embarquer l’ensemble des métiers (achat, design, production, marketing…) autour d’une même vision. Cette dynamique transversale génère une adhésion plus forte et valorise le travail de chacun, renforçant la cohésion interne et la motivation des collaborateurs.
Les 3 grandes étapes pour structurer une stratégie de réduction d’impact
Étape 1 : Évaluer ses émissions carbone et définir des objectifs de réduction “théoriques”
1.1 – Évaluer ses émissions et choisir l’année de référence
La première brique essentielle pour construire une trajectoire bas-carbone consiste à évaluer ses émissions carbone, sur une année de référence. C’est à partir de ce bilan initial que vous pourrez construire les étapes suivantes. Cette année de référence doit être représentative de votre activité habituelle, afin d’éviter les biais liés à des périodes atypiques (ex. éviter de prendre en année de référence l’année COVID).
Lorsque l’on regarde le contexte du secteur, on constate qu’une très large majorité des émissions provient du scope 3, et en particulier du scope 3 amont (matières premières, procédés de fabrication, transport, etc.). Pour de nombreuses marques textile, plus de 80% des émissions totales se situent dans ce scope 3.
Qu’est-ce que cela implique ?
Concentrer vos efforts sur ces postes d’impact majeurs pour mettre en place les leviers de réduction les plus pertinents (ex. matières plus responsables, amélioration des process, etc.).
Renforcer l’importance d’une mesure précise du scope 3, afin de fixer des objectifs qui soient à la fois réalistes et pilotables.
1.2 – Les enjeux de la collecte de données et le rôle des fournisseurs
Pour pouvoir mesurer votre scope 3 avec la précision et la granularité nécessaire, il vous faut :
1. Embarquer vos fournisseurs afin de collecter des données fiables et à jour.
Best practice : Organiser régulièrement des conférences ou réunions avec vos fournisseurs pour leur expliquer comment et pourquoi ils doivent vous transmettre leurs données (formats, échéances, etc.). Cela peut aussi vous aider, à terme, à identifier les fournisseurs qui ne jouent pas le jeu et à rationaliser votre panel en fonction de la qualité des informations fournies.
2. Mettre en place un process de collecte et de mesure scalable, qui vous permettra de suivre et d’actualiser vos émissions au fil du temps (chaque nouvelle collection, chaque nouvelle gamme de produits, etc.).
Un dispositif de collecte et de mesure bien organisé vous donnera la possibilité de :
Suivre l’évolution de vos émissions et mesurer l’atteinte de vos objectifs ;
Améliorer votre bilan carbone en allant chercher des données toujours plus granulaires (ex. analyses de cycle de vie).
3. S’appuyer sur des analyses de cycle de vie (ACV) pour gagner jusqu’à 50% de précision supplémentaire sur l’évaluation de vos émissions de scope 3.
En résumé, disposer d’un bilan carbone détaillé (et réactualisé régulièrement) est indispensable pour passer de simples intentions à un plan d’action efficace et pilotable.
1.3 – Définir ses objectifs de réduction
Une fois vos émissions évaluées et vos principaux postes d’impact identifiés, vous pourrez commencer à définir et challenger vos objectifs. Pour cela, il existe des cadres méthodologiques reconnus, et notamment l’initiative SBTi (Science Based Targets), fondée sur les conclusions de la COP21.
Les entreprises souhaitant aller jusqu’au bout de la démarche peuvent faire valider officiellement leur trajectoire par la SBTi à travers plusieurs grandes étapes :
S’engager formellement via une lettre d’intention ;
Réaliser son bilan carbone et choisir l’année de référence ;
Définir une trajectoire (en valeur absolue ou en intensité carbone) et des cibles de réduction pour 5 à 10 ans ;
Soumettre ce plan à la SBTi pour validation ;
Communiquer publiquement sur les objectifs fixés et assurer un suivi dans le temps.
À retenir : S’appuyer sur la méthodologie SBTi ne vous oblige pas à déposer officiellement votre trajectoire auprès de l’initiative. Cela peut simplement vous aider à poser un cadre solide pour construire vos objectifs.
La méthodologie SBTi repose sur trois volets :
1. Définir l’horizon temporel :
Tout part du bilan GES de l’année de référence. Ensuite, fixez une année cible à moyen terme, généralement entre 5 et 10 ans après la date de soumission. Aujourd’hui, cela nous mène souvent entre 2030 et 2035. À plus long terme, l’objectif est que toutes les entreprises soient sur une trajectoire net zéro à l’horizon 2050.
2. Définir le périmètre :
Vous devez vous engager sur les trois scopes (1, 2, 3), mais vous pouvez choisir de ne pas inclure certains sous-postes peu représentatifs.
À noter : pour une marque de mode, le scope 3.1 (liés à l’impact des produits) est obligatoirement pris en compte, car il représente souvent plus de 70 % du bilan carbone.
3. Définir le niveau d’ambition et la méthode de suivi
Il y a plusieurs niveaux d’ambition possibles (2 °C, 1,5 °C, etc.), et plusieurs méthodes pour fixer les objectifs de réduction d’impact.
Cela peut se faire en valeur absolue (ex. : passer de 400 000 à 300 000 tonnes de CO₂), ou en intensité (ex. : CO₂ par euro de marge ou par produit vendu).
Par exemple, une marque en forte croissance pourra préférer des objectifs en intensité (kg CO₂/€ de marge) plutôt qu’en valeur absolue. Il n’existe donc pas un seul type d’objectif SBTi, mais plusieurs options à combiner selon votre stratégie.
Quelques exemples d’objectifs type SBT :
Réduction en valeur absolue : −42% des émissions sur 10 ans (scénario 1,5 °C) ou −25% sur 10 ans (scénario <2 °C).
Réduction en intensité carbone : (tCO₂eq/unité de produit) ou (tCO₂eq/€ de valeur ajoutée).
Objectifs d’approvisionnement en énergies renouvelables : atteindre au moins 80% d’énergie décarbonée en 2025 et 100% d’ici 2030.
Engagement fournisseur ou client : viser un pourcentage de fournisseurs eux-mêmes engagés dans une trajectoire SBT à un horizon donné.
Les best practices pour définir vos objectifs :
Vous appuyer sur des référentiels reconnus (SBTi, SNBC, etc.) et adopter une méthode scientifique ;
Tenir compte de vos ambitions économiques : croissance, marge, lancement de nouvelles gammes… ;
Construire une première version du plan d’action avant de figer le niveau d’ambition définitif (pour éviter d’annoncer des objectifs irréalistes ou trop coûteux).
Étape 2 : Construire le plan d’action et actualiser les objectifs de réduction d’impact
Une fois que vous avez défini vos objectifs « théoriques » sur la base du bilan carbone et d’un référentiel SBT (ou équivalent), l’étape suivante consiste à formaliser un plan d’action concret pour atteindre ces cibles.
2.1 – Identifier une liste de leviers pertinents
La première étape consiste à recenser l’ensemble des leviers d’action qui peuvent contribuer à réduire votre impact.
Pour vous guider, voici quelques familles de leviers à explorer :
Matières premières : passer du coton conventionnel à du coton recyclé ou bio ; introduire du lin, du chanvre ou d’autres fibres à faible impact.
Zones de sourcing : rapprocher la production (proche import), limiter les transports longue distance.
Procédés de fabrication : recourir à des techniques de teinture moins impactantes (teinture végétale, dope dye, etc.), favoriser l’écru (pas de teinture), réduire les taux de perte à la confection.
Efficacité énergétique : impliquer vos fournisseurs dans l’amélioration de leur mix énergétique (panneaux solaires, réduction de la consommation d’énergie fossile).
Mode de transport : favoriser le fret maritime plutôt que l’aérien, optimiser la logistique.
Orientation consommateur : afficher l’impact environnemental des produits pour encourager le choix de gammes moins carbonées, allonger la durée de vie des articles, proposer des services de réparation, etc.
Conseil : Pour travailler sur cette liste de leviers potentiels, vous pouvez organiser des ateliers collaboratifs avec vos équipes métiers (produit, achats, design, RSE, etc.) afin d’identifier ensemble les leviers les plus pertinents et réalistes. Cela facilite l’adhésion des équipes dès la phase de conception du plan d’action.
2.2 – Chiffrer et évaluer ces leviers
Une fois la liste de leviers identifiés, vous aurez besoin de chiffrer et de prioriser chacun des leviers selon plusieurs critères :
Déterminer son périmètre d’application (par exemple : ce levier s’applique à 30 % de mes pulls).
Chiffrer la réduction d’impact environnemental potentielle (kg CO₂eq évités, réduction du scope 3…)
Évaluer l’impact économique du levier (effet sur la marge, coûts d’investissement, ROI)
Acceptabilité client (risque perçu par le consommateur, impacts sur l’image de marque)
Qualité produit (le nouveau procédé ne dégrade-t-il pas la qualité ?)
Complexité de mise en œuvre (formations, investissement, changement de process…)
Estimer son horizon de mise en œuvre (court, moyen, long terme).
Prendre en compte la complexité de mise en œuvre (certains leviers nécessitent juste une formation, d’autres des investissements lourds).
L’idée est de construire, pour chaque levier, une fiche d’évaluation permettant d’estimer son impact global. Vous pourrez ensuite élaborer un scénario global où vous superposez plusieurs leviers (en tenant compte de leur effet cumulatif et de l’évolution de votre activité).
L’objectif est de vérifier que la somme de ces actions vous rapproche effectivement de votre cible de réduction à l’horizon choisi.
Exemple d’une trajectoire avec un plan d’action projeté
2.3 – Actualiser les objectifs et faire valider le plan
Une fois ces critères évalués, vous serez en mesure de prioriser vos leviers et de construire votre plan d’action structuré.
Il est essentiel ici d’intégrer également l’effet de la croissance de votre entreprise (hausse des volumes, des ventes...), qui viendra mécaniquement faire remonter votre empreinte. Vous verrez alors si votre plan d’action suffit à compenser la croissance et atteindre les objectifs fixés.
Deux cas de figure peuvent se présenter :
L’écart est trop important : il faut envisager d’ajouter des leviers supplémentaires, parfois plus complexes ou coûteux à mettre en œuvre, et convaincre vos parties prenantes de l’intérêt d’y investir.
Le niveau d’ambition est trop élevé : vous pouvez réévaluer votre trajectoire et, par exemple, passer d’un objectif à 1,5 °C à un objectif à 2 °C, plus atteignable dans votre contexte.
Best practice : Faire valider la trajectoire et le plan d’action auprès du COMEX, puis réviser officiellement vos objectifs (si nécessaire) pour garantir la cohérence globale (économique & environnementale).
L’objectif, à la fin de ce travail, est de réduire au maximum l’écart entre les leviers activés et les objectifs fixés. Cela renforce votre confiance dans votre capacité à tenir la trajectoire, facilite la communication interne et externe, et crédibilise l’ensemble de votre stratégie.
Et c’est là encore qu’on mesure l’importance d’avoir un bilan carbone suffisamment précis : plus vos données sont granulaires (par catégorie de produit, par gamme, par fournisseur…), plus vous êtes capables d’identifier les bons leviers, au bon endroit.
Étape 3 : Embarquer les équipes métiers et piloter la trajectoire dans la durée
Avoir un bilan carbone précis et un plan d’action structuré est essentiel, mais cela ne suffit pas. L’atteinte de vos objectifs de réduction dépend avant tout de votre capacité à mobiliser les équipes et à piloter la démarche au plus près du terrain.
Pourquoi l’embarquement des équipes est essentiel
Dans le secteur du textile, on estime que 90% de l’impact d’un produit est décidé avant le lancement de la production (choix des matières, du lieu de fabrication, des volumes, etc.). Autrement dit, ce sont principalement les équipes Produit, Achat et Design qui ont la main sur les décisions qui pèsent le plus lourd dans votre bilan carbone.
5 bonnes pratiques pour un pilotage efficace
1. Traduire le plan d’action en objectifs opérationnels concrets pour vos équipes
Il est impératif d’adapter vos objectifs à chaque métier. Si vous avez défini un objectif de réduction exprimé en intensité carbone par euro de marge, ce n’est pas forcément un indicateur parlant pour vos équipes produits. Ces dernières ont besoin de KPI concrets et actionnables, liés à leur réalité quotidienne
Par exemple : l’empreinte carbone moyenne d’une gamme, ou la part de matières à faible impact dans une collection, pourcentage de fournisseurs audités, etc.
2. Outiller les équipes Produit
Fournir des tableaux de bord et un accès facile aux données (reportings clairs, des dashboards visuels) pour qu’elles puissent comprendre leur impact, prendre des décisions éclairées à chaque étape du cycle de développement et suivre l’atteinte de leurs objectifs.
3. Intégrer la revue des objectifs dans le cycle de développement
Les jalons clés dans les étapes de développement produit (brief matières, validation des prototypes, revue de collection, etc.) sont des moments propices pour évaluer la cohérence avec la trajectoire bas-carbone.
L’objectif est de pouvoir intégrer les réflexions sur l’impact dans ces étapes-là pour que chaque chef de produit sache s’il est aligné avec ses objectifs.
Aligner le COMEX et les directions
Obtenir un soutien fort de la direction générale (validations budgétaires, arbitrages, communication interne) est indispensable pour donner de la crédibilité à la démarche.
Mettre en place des indicateurs de performance (KPIs)
De plus en plus de marques commencent à intégrer les objectifs environnementaux dans le variable des équipes. Cela peut s’appliquer au directeur des achats, au directeur produit, voire aux designers. C’est un levier puissant d’adhésion et de responsabilisation.
Conclusion
Construire et piloter sa trajectoire bas-carbone est un travail de fond, qui repose autant sur la qualité des données (et donc la collaboration avec vos fournisseurs) que sur la capacité à impliquer les équipes métiers dans la durée. La démarche se résume en 3 étapes clés :
Mesurer ses émissions et fixer des objectifs théoriques (en s’appuyant sur un référentiel reconnu comme SBTi) ;
Construire un plan d’action détaillé et réaliste, en évaluant et priorisant les différents leviers ;
Embarquer toutes les parties prenantes (fournisseurs, équipes internes, direction) et mettre en place un dispositif de pilotage et de suivi pour respecter vos engagements.
En procédant de cette manière, vous vous assurez de définir une trajectoire crédible, qui s’appuie sur des données concrètes et qui se traduira, in fine, par des actions aux résultats mesurables. Une stratégie bas-carbone bien construite est à la fois un atout environnemental, économique et social, car elle valorise l’ensemble des collaborateurs et renforce la résilience de votre marque face aux enjeux de demain.
À ne pas manquer
Recevez chaque mois les actualités réglementaires et nos conseils pour vous aider à les décrypter.